Préface de Hervé JUVIN

    

Un livre de conseil en management, encore un !

 

Le lecteur qui entrera dans le livre que Philippe Schleiter consacre au management sera vite détrompé. D’abord, parce que Philippe Schleiter n’est pas un de ces universitaires qui théorisent à partir de ce que ceux qui managent, ou de ce que ceux qui ont vu ceux qui managent, leur ont rapporté. Ni de ceux qui extrapolent à partir d’un cas, d’une expérience, fût-elle un succès, ou qui racontent leurs mémoires de managers – du temps où j’étais manager... Consultant en activité, conseiller de directions d’entreprise, de longue date impliqué dans la marche concrète des organisations, confronté à toutes les situations qu’elles peuvent connaître, des plus favorables aux plus conflictuelles, Philippe Schleiter parle d’expériences, les siennes, celles des entreprises qu’il a accompagnées, celles des managers qu’il a soutenus, aidés, conseillés. Et ces expériences parleront à tous ceux, à toutes celles qui ont dû concrètement assumer les charges de dirigeant, comme elles seront utiles à toutes celles, à tous ceux qui se préparent à des tâches de managers. Elles sont multiples, diverses, contrastées, et elles font a priori l’intérêt d’un livre qui sonne juste et parle vrai. Il est chargé du poids des hommes, des choses et des faits, des choix, des échecs et des succès, plus que de mots ou d’idées. Ce n’est pas un mince mérite, dans cette inflation de littérature de circonstance managériale.


Il y a plus. Ce que le lecteur découvrira ensuite, c’est que les leçons que Philippe Schleiter tire de vingt années d’expériences ne sont pas les idées de tout le monde, ni les idées qui participent à la conformité de rigueur. Oui, être un chef compte. Oui, décider est une discipline, une nécessité, un devoir. Non, le digital ne transforme pas le management s’il en renouvelle les moyens. Oui, le rapport direct, d’homme à homme, garde sa valeur. Oui encore, les vertus du dirigeant font les organisations qui gagnent – ou qui perdent. Non, le dirigeant n’est pas une nounou, et le concept même de « bonheur au travail » devrait faire frémir ceux qui conservent une idée de la liberté. Non encore, l’entreprise n’est pas Disneyland : ceux qui l’oublient se heurtent vite à la réalité, et d’autant plus brutalement qu’ils ont voulu davantage l’oublier. Philippe Schleiter dit ce qu’il a vu, ce qu’il a retenu, sans souscrire aux modes, sans courir après l’inédit, le sensationnel. Ce qui l’intéresse, c’est ce qui marche, ce qu’il a vu réussir, fonctionner, produire des résultats. Pas les doctrines, les théories, et ces innovations bruyantes qui ne sont si souvent que sources de confusion, de dispersion, et d’échec.

 

A sa manière, réaliste et volontaire, Philippe Schleiter est un militant de l’entreprise. Militant lucide, militant engagé, militant qui entend faire passer des messages. Au-delà des conseils d’application pratique, des expériences à méditer, c’est probablement la dimension du livre qui devrait le plus susciter l’attention et attirer le débat. Car le militant n’évite pas le débat, voire la provocation. C’est même là l’une des qualités de son livre ; il affirme, il tranche, il bouscule. A propos du principe de précaution comme du syndicalisme, du supposé « manager digital » comme de la génération Y, de la désindustrialisation de la France comme des modes de management massivement importées des « business schools » américaines sans examen ni réflexion, l’auteur n’hésite pas à prendre parti. Comme il prend parti pour la prise de risque du dirigeant actionnaire engagé, pour plus de transparence dans la conduite des organisations, pour plus de courage dans les relations à l’intérieur de l’entreprise.

 

Chacun l’aura compris, Philippe Schleiter est du parti de l’entreprise. Et ce parti, pour lui, se confond avec celui du réel. Ce n’est pas un parti politique, mais il a l’une des clés de l’organisation de nos sociétés. Ce n’est pas une idéologie, mais il est porteur d’une vision globale des rapports humains et de la marche du monde. Et c’est à la fin, tout simplement, un principe de réalité. Passion du contact humain, goût de l’engagement et des combats qu’il faut mener, impatience devant les retards, les contraintes, les embarras, le livre est un appel au réel. A ce réel trop négligé et trop souvent bousculé. Ce n’est pas un mince constat ; au cœur de sa tâche, ce qui lui donne sa valeur mais en fait la difficulté, tout manager est acteur du lien avec le réel, ce réel qui fait qu’il n’y a pas de salaire s’il n’y a pas de client, ce réel qui fait que l’entreprise n’est pas faite pour le salarié, mais pour servir des clients à travers un marché, etc.

 

Dans un monde qui tend à remplacer la réalité par des mots, et à croire que la théorie, la proclamation ou le droit décident du réel, dans un monde aussi où l’émotion, les signes, les représentations ont tendance à si bien dissimuler le réel qu’ils le font oublier, quand ils ne prétendent pas purement et simplement le remplacer, l’entreprise est l’un des derniers lieux où le réel, toujours, finit par l’emporter. Le réel : ce qu’un client est prêt à payer pour un produit ou un service. Le réel : ce qui fait que celles et ceux qui travaillent avec vous sont prêts à se lever le matin et sont fiers de ce qu’ils font jour après jour. Le réel : ce qui fait passer dans le regard de votre interlocuteur une nuance de respect, d’envie et de considération quand vous dites que vous travaillez dans telle entreprise, que vous participez à tel projet, que vous avez réalisé telle opération. Le réel, qui n’est jamais conforme, jamais modélisable, jamais prévisible.

 

L’entreprise, lieu du réel ? Le sujet est majeur. Dans une France qui se complaît dans la haine du marché et l’adoration de la dépense publique, dans une France qui peine à reconnaître que la meilleure défense, c’est l’attaque, et que la sécurité est le résultat de l’innovation, de la dynamique et de l’énergie, l’affirmation peut prêter à contestation. C’est pourtant bien ce que, maints exemples à l’appui, suggère le travail de Philippe Schleiter. Et c’est une invitation à atterrir, vite et bien, parce que l’état d’apesanteur dans lequel le socialisme libéral a anesthésié la France et les Français vis-à-vis du monde tel qu’il est et des affaires comme elles vont aura à terme, et exerce déjà, des conséquences dramatiques pour la nation. Nul ne nie le réel sans en payer le prix tôt ou tard. Les Français doivent y réfléchir.

 

En des temps où les mots saturent l’attention et dispensent des choses, en ces temps où l’idéologie est partout, pour affirmer les délices de la mondialisation heureuse aussi bien que pour vanter l’entreprise sans usine ou promettre notre entrée triomphante dans le monde des robots serviteurs des humains, c’est le réel qui manque le plus et c’est le principe de réalité auquel elles sont fatalement ramenées par leur bilan et leur compte d’exploitation qui fait des entreprises un lieu unique et singulier, parfois même le dernier. Lieu du réel : voilà pourquoi l’entreprise est critiquée, vilipendée, honnie quelquefois, voilà pourquoi elle est et sera davantage encore au cœur de nos sociétés. Nul ne peut longtemps, ni tout à fait, se dispenser du réel, comme risque, comme promesse, comme vérité.                                                                                                                                                                                                                                 

Hervé JUVIN

 

 

Hervé JUVIN, auteur et essayiste français, président de Nat Pol, société de diplomatie d’entreprise. Dernières publications : Le Mur de l’ouest n’est pas tombé (P.-G. de Roux 2015) et Le Gouvernement du désir (Gallimard 2016).